Loi relative à la bioéthique et recherche sur l’embryon

La loi relative à la bioéthique a été définitivement adoptée le 29 juin dernier à l’Assemblée Nationale. Bien que le débat public porte principalement sur l’ouverture du droit à l’AMP à toutes les femmes, le projet de loi modifie aussi l’encadrement législatif de la recherche sur l’embryon. De quoi s’agit-il ? Pourquoi ces modifications du cadre législatif ? Peut-on craindre ces changements ?

Article adapté, initialement écrit le 21 janvier 2020 lors de la première lecture au Sénat.

Dans l'Hémicycle - Assemblée nationale

La bioéthique (le terme apparaît dans les années 1970) s’interroge sur les pratiques, les techniques et les inventions qui permettent à l’humain d’agir sur le vivant. Parce que l’éthique implique un choix, elle soulève à l’échelle d’une société des débats. Ces débats portent dans les « lois relatives à la bioéthique » (les dernières ont été votées en 1994, 2004 et 2011) sur les limites à donner à l’application des techniques qui permettent d’agir sur le vivant. La présente loi, outre l’ouverture du droit à l’Aide Médicale à la Procréation (AMP) à toutes, porte sur la recherche sur l’embryon humain (articles 14 à 17). Parce que les techniques qui agissent sur le vivant évoluent, ainsi que les questions scientifiques auxquelles elles permettent de répondre, les lois de bioéthiques doivent les prendre en compte pour les encadrer. La question du statut de l’embryon humain renvoie à la définition d’humanité, à l’opposition entre essence (ce qu’est l’humanité) et existence (être humain) mais aussi à la reproduction (la génération d’un nouvel être humain) et son contrôle. Ces questions ne peuvent qu’engendrer débats, craintes, fantasmes. Elles nécessitent en tout cas une réponse mesurée, réfléchie.

Certains se sont élevés contre ces articles 20-23 du présent projet de loi de bioéthique, chez la Manif pour tous mais aussi du côté de personnalités écologistes. Ces derniers condamnent la création « en catimini (d’un) droit à la modification génétique d’embryons humains à des fins proclamées de recherche ». Ils craignent la création d’humains OGM, d’un contrôle génétique des naissances, soit un eugénisme. La création d’embryons chimères alarme certains. En quoi consiste le projet de loi actuel ? Pourquoi ces craintes exprimées ? Sont-elles fondées ?

Article 20 : la recherche sur l’embryon et les cellules souches

La loi relative à la bioéthique de 1994 interdisait la recherche sur l’embryon (puis celle de 2011 sur les cellules souches embryonnaires). A partir de 2004, ces recherches faisaient l’objet d’une dérogation. Depuis 2013, ces recherches sont autorisées. Que change l’article 20 de la présente loi ?

Développement embryonnaire humain. La recherche sur l'embryon humain ne dépasse pas les 14 jours après la fécondation (stade 7 sur le schéma). Les cellules souches sont obtenues à partir d'embryons d'une semaine (stade 3 sur le schéma). @MarkHill
Développement embryonnaire humain. La recherche sur l’embryon humain ne dépasse pas les 14 jours après la fécondation (stade 7 sur le schéma). Les cellules souches sont obtenues à partir d’embryons d’une semaine (stade 3 sur le schéma). @MarkHill

De quoi parle-t-on lorsqu’on parle d’embryon et de cellule souche dans un cadre de recherche scientifique ? Suite à la fécondation de l’ovule par le spermatozoïde, une cellule-œuf se forme : elle comporte 23 chromosomes de la mère et 23 chromosomes du père. C’est à partir de cette unique cellule que toutes les cellules de notre organisme sont issues : cette cellule, en ce divisant, va donner deux cellules avec le même génome ; puis chacune va à son tour se diviser, et ainsi de suite jusqu’à l’obtention des quelques 30000 milliards de cellules de l’organisme adulte.

La recherche sur l’embryon ne dépasse pas 14 jours après la fécondation (voir Figure). Jusqu’au 14ème jour après la fécondation, les cellules sont dites pluripotentes : elles ont la capacité de donner tous les types de cellules (neurone, cœur, poumon, etc.). C’est à partir d’embryons d’une semaine (blastocyte, moment où l’embryon s’implante dans l’utérus (nidation), voir Figure) que sont extraites les cellules souches embryonnaires (la communauté scientifique sait les utiliser depuis 1981). Ensuite, en laboratoire, ces cellules pourront être établies en ce qu’on appelle une lignée cellulaire : pouvant se multiplier à l’infini, le nombre de ces cellule peut être augmenté, elles peuvent être congelées, partagées entre les laboratoires (chaque expérience ne nécessite pas d’extraire à nouveau des cellules d’un blastocyte). Les cellules souches peuvent être « différenciées », c’est-à-dire qu’on pourra obtenir le type de cellules souhaité (il existe des protocoles pour chaque type de cellule). Il est important de noter que ces cellules souches, extraites d’embryons, ne pourront plus redonner un organisme mais seulement des cellules ou des tissus individualisés. L’utilisation de ces cellules souches a été une révolution pour les biologistes, car elles permettent d’étudier directement, de manière rigoureuse, un type cellulaire humain (et non animal).

A partir des 15-16èmes jours, les cellules sont dites « déterminées » : en fonction de leur position dans l’embryon, elles appartiennent à trois types de tissus embryonnaires (neuro-ectoderme, endoderme et mésoderme) : les cellules du neuro-ectoderme donneront le système nerveux, celles de l’endoderme donneront entre autres l’appareil respiratoire et digestif, celles du mésoderme donneront entre autres les muscles. Notons bien qu’on dit que ces tissus sont « déterminés » : ils ne constituent en rien un futur organe, elles ont juste reçu une « information » qui va les conduire dans une voie de différenciation plutôt qu’une autre. Pour information, le tube neural, une ébauche du futur système nerveux (aucun neurone n’est encore né, aucune connexion neuronale n’est de surcroît déjà en place), s’établit vers le 28ème jour après la fécondation. Le projet de loi actuel autorise la recherche sur l’embryon jusqu’au 14ème jour. Cette recherche permet l’étude des mécanismes propres à notre espèce qui interviennent lors de ces deux premières semaines de développement, soit de la fécondation à la mise en place des trois tissus embryonnaires, en passant par la nidation. Pour information, on parle d’embryon pendant les 8 premières semaines, puis de fœtus.

En France, les embryons utilisés pour la recherche ne sont pas issus de fécondations faites expressément pour cela : ils sont pour la plupart des embryons excédentaires suite à une fécondation in vitro

Le texte de loi sépare ici la recherche sur l’embryon de la recherche sur les cellules souches. Si la recherche sur l’embryon nécessitera une autorisation (après soumission d’un projet), la recherche sur les cellules souches devra faire l’objet d’une simple déclaration (auprès de l’Agence de la biomédecine).

Pour obtenir une autorisation, un projet de recherche sur l’embryon doit être pertinent scientifiquement (on ne peut réaliser un projet de recherche sans questions fondamentales précises et on ne peut répondre à la question scientifique dans un autre modèle, c’est-à-dire in vitro ou dans un modèle animal) et avoir une finalité médicale ou doit viser à améliorer la connaissance de la biologie humaine (les résultats du projet de recherche devront permettre à la médecine de faire des progrès, dont la réponse à l’infertilité).

Le premier alinéa de cet article précise bien qu »aucune intervention ayant pour objet de modifier le génome des gamètes ou de l’embryon ne peut être entreprise ». De plus, tout embryon qui a fait l’objet de recherches ne peut être implanté dans un utérus et doit être supprimé au bout de 14 jours après la fécondation. Si les études sur la fertilité sont autorisée, notamment par la création de gamètes à partir de cellules souches, une fécondation à partir de ces gamètes est interdites : il ne pourra pas y avoir d’embryons générés à partir de cellules souches modifiées. De même, un projet de recherche sur les cellules souches pourra être refusé s’il n’est pas pertinent scientifiquement ou n’a pas de finalité médicale.

Il est aujourd’hui possible de modifier le génome d’une cellule plus facilement qu’auparavant. Cela est couramment utilisé en recherche (sur des cellules animales, in vitro, par exemple). Ce pose cependant la question de la modification du génome d’embryons humains implantés dans un utérus. Un scientifique chinois a en effet annoncé avoir modifié le génome de deux jumelles en 2018. La communauté internationale, à commencer par la communauté scientifique, s’est indignée de cette annonce. Ce genre de pratique est interdit par la présente loi et est condamné par les sociétés savantes internationales : outre le fait que ce genre de technique comprend des effets secondaires, elle constitue surtout un eugénisme inacceptable.

Les chercheurs souhaitent publier leurs résultats dans des revues internationales. Étant donné qu’ils appartiennent à des pays différents, ils travaillent dans des cadres législatifs différents. C’est pourquoi la société internationale de recherche en cellules souches (ISSCR) a publié des recommandations afin d’harmoniser les normes éthiques. Les grands journaux scientifiques s’inscrivent dans le cadre de ces normes et ne publieront pas des travaux qui s’en écartent. Ces normes interdisent explicitement : la culture d’embryons intactes au-delà de 14 jours après la fécondation (bien qu’une réflexion soit en cours pour aller jusqu’à 28 jours, soit avant la formation du tube neural), la gestation extra-utérine (ex vivo ou dans un utérus animal) d’embryons humains, l’implantation d’embryons humains qui ont subi une modification de leur génome, la formation de chimères animales avec des gamètes humains. Ces normes éthiques ne constituent pas un cadre législatif (des chercheurs les ont établies à l’échelle internationale) mais elles marquent 1) une réflexion et une volonté de la communauté scientifique internationale et 2) un garde-fou pour tout scientifique qui participe au processus de publications scientifiques.

Article 21 : Cellules souches induites et chimères animal-humain

Cellules souches. La recherche utilise deux types de cellules pluripotentes (permettant de générer touts les types de cellules) : les cellules souches embryonnaires (ESC), issues d'un blastocyte (embryon d'une semaine) ou des des cellules souches induites (iPSC), reprogrammées à partir de cellules adultes. Les iPSC comportent cependant des modifications génétiques absente chez les ESC. @AnnalsofDermatology
Cellules souches. La recherche utilise deux types de cellules pluripotentes (permettant de générer touts les types de cellules) : les cellules souches embryonnaires (ESC), issues d’un blastocyte (embryon d’une semaine) ou des des cellules souches induites (iPSC), reprogrammées à partir de cellules adultes. Les iPSC comportent cependant des modifications génétiques absente chez les ESC. @AnnalsofDermatology

Depuis 2007, la communauté scientifique peut étudier un nouveau type de cellule souche : les cellules souches induites (voir Figure). A partir de biopsies de patients, on peut reprogrammer des cellules adultes en cellules souches. Elles sont pluripotentes comme les cellules souches, c’est-à-dire qu’elles peuvent former tous les types de cellules des trois tissus embryonnaires (neuro-ectoderme, endoderme, mésoderme). Elles sont donc très utiles pour étudier tout type de cellule humaine. En revanche, elles gardent certaines modifications épigénétiques (« ce qui s’ajoute aux gènes »), contrairement aux cellules souches embryonnaires.

Le présent projet de loi intègre ces cellules dans le code de la santé publique. Jusqu’à ce jour, la loi n’encadre pas leur utilisation car elles ne sont mentionnées nulle part. Leur ajout à notre code législatif va ainsi permettre d’encadrer leur utilisation. La limite législative donnée à leur utilisation est la formation de gamètes. Comme pour les cellules souches, si des cellules souches sont transformées en ovules ou spermatozoïdes, ces derniers ne pourront pas être utilisés pour former un nouvel embryon ou pour les introduire dans un embryon animal. Le risque serait en effet d’obtenir un individu pouvant se reproduire avec des gamètes créées par l’humain.

La loi autorise d’établir des embryons chimériques par l’adjonction de cellules souches embryonnaires (dans l’article 20) ou pluripotentes induites (dans l’article 21) dans un embryon animal. Cette partie a fait couler beaucoup d’encre : d’abord supprimée par le Sénat, elle a été rétablie par l’Assemblée Nationale. Des scientifiques avait d’ailleurs réagi rappelant que ces modèles sont une alternative à l’expérimentation humaine et permis de faire des découvertes sur le cancer, la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), la maladie de Parkinson. Ces chimères permettent d’étudier un organe humain dans un contexte physiologique (les études in vitro de cellules différenciées à partir de cellules souches permettent d’étudier des mécanismes à l’échelle cellulaire mais non à l’échelle de l’organe). Si les cellules adjointes ont un génome humain, elles ne modifient pas le génome des autres cellules de l’organisme et son fonctionnement général : il s’agit d’animaux, avec quelques cellules humaines. Cette pratique est déjà possible pour les cellules souches induites, et sans restriction, car jusqu’à ce jour la loi ne connaît pas les cellules souches induites.

Articles 22-23

L’article 22 est consacré entre autres à la limite de conservation des embryons congelés destinés à la recherche (5 ans).

L’article 23 interdit « la modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces ». Cet article interdit donc l’expérience inverse que celle mentionnée précédemment : un embryon humain, avec quelques cellules animales. Cette question ne se pose pas scientifiquement : les chercheurs veulent pouvoir étudier des organes humains dans un contexte physiologique. C’est pourquoi ils ont besoin de modèles expérimentaux pour le faire : à l’échelle cellulaire in vitro à partir des cellules souches, à l’échelle de l’organe par l’ajout de cellules humaines dans un embryon hôte. L’étude de cellules animales peut se faire directement chez l’animal et ne nécessite pas le recours à l’implantation de cellules animales dans un embryon humain. Toutefois la loi permet l’interdiction de potentielles dérives.

En conclusion, la nouvelle loi relative à la bioéthique interdit la modification du génome transmissible à la descendance (en respect de la convention internationale d’Oviedo ratifiée par la France en 2012) et la création de chimères humain-animal. Il encadre la recherche sur l’embryon humain (entre autres la recherche au-delà de 14 jours après la fécondation n’est pas possible), qui est soumise à autorisation. La création de chimères animal-humain est encadrée. Au-delà de ce projet de loi, la communauté scientifique internationale s’est elle-même questionnée et limitée dans son action. L’évolution des technologies permettra toujours d’intervenir plus sur le vivant ; les questions et les craintes d’eugénisme, du chercheur fou, restent les mêmes, et sont parfaitement légitimes. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » écrivait Rabelais. La nouvelle loi n’est pas inconsciente.

Sources :

Projet de loi relatif à la bioéthique (version votée par l’Assemblée Nationale le 29 juin 2021)

« Les chimères homme-animal sont une alternative à l’expérimentation humaine », Le Monde, 3 février 2020

Projet de loi relatif à la bioéthique (version votée par l’Assemblée Nationale le 15 octobre 2019), articles 14-17, et rapport de la commission sénatoriale du 8 janvier 2020

« Loi de bioéthique : « Nous ne voulons pas d’une humanité génétiquement modifiée ! » », Le Monde, 15 janvier 2020

« De la Manif pour tous à José Bové, inquiétudes sur le projet de loi de bioéthique », La Croix, 15 janvier 2020

Chimères et embryons transgéniques: de quoi parle la loi bioéthique, Médiapart, Rouguyata Sall, 15 octobre 2019

Bioéthique: le projet de loi va faciliter la recherche sur les cellules souches embryonnaires, Médiapart, Rouguyata Sall, 14 septembre 2019

Should the 14-day rule for embryo research become the 28-day rule?, EMBO Molecular Medicine, Appleby & Bredenoord, 7 août 2018

« Les embryons chimères, risque d’un brouillage de la frontière homme-animal », La Croix, 12 décembre 2018

Avis 129 du Conseil Consultatif National d’Ethique (CCNE) du 25 septembre 2018

« La recherche sur l’embryon : une pratique nécessaire et bien encadrée en France », Inserm, 27 juin 2018

« Genome-edited baby claim provokes international outcry », Nature, 26 novembre 2018

« Human embryo research policy update », Nature Biotechnology, 6 juin 2018

Guidelines for Stem Cell Research and Clinical Translation, ISSCR, 12 mai 2016

« La participation des religions aux débats de bioéthique en France », Baptiste Libé-Philippot in Politique et Religion, Chantiers Politiques, 2013

Décret n° 2012-855 du 5 juillet 2012 portant publication de la convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997

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